« Le Seigneur m’a ouvert l’oreille, et moi je n’ai pas résisté,

je ne me suis pas dérobé. »

Isaïe L, 5.

 

La nef latérale Nord se situe immédiatement à gauche, lorsqu’on entre dans l’édifice sacré. On y retrouve principalement le baptistère que nous décrirons ultérieurement. Dans la plupart des traditions anciennes, le Nord est un espace sacré où réside le principe organisateur qui informe la matière pour l’amener à se structurer et à devenir une réalité singulière, la soutenant contre les forces d'entropie qui la menacent de retourner au chaos de l'indifférencié. L’étoile polaire, qui demeure fixe dans l'axe du pôle Nord de la Terre, constitue d’ailleurs un excellent repère pour les navigateurs, les nomades et les caravaniers. « Perdre le Nord », selon l’expression populaire, consiste d’ailleurs à se retrouver sans direction, dans l'errance du désarroi ou de la folie. Elle joue même un rôle privilégié dans l’univers symbolique, incarnant le centre autour duquel pivote le firmament. En effet, tout le ciel tourne autour de ce point fixe qui évoque à la fois le Premier moteur et le centre de l’univers.

 

 

Nef latérale Nord de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste

 

Dans de nombreuses traditions, le Nord est également mis en rapport avec l’hiver, la saison la plus froide de l’année. Sur un plan symbolique, il est donc associé à une dynamique de rétractation qui nous amène à nous retirer du milieu extérieur pour pénétrer les mondes intérieurs. Avec l’arrivée des grands froids, l’agriculteur engrange effectivement le grain, et il rentre chez lui pour y passer la période hivernale. La nature elle-même semble se recroqueviller et la vie paraît disparaître, se résorbant à l’intérieur des êtres. Ainsi, l’hiver évoque un processus d'intériorisation, et nous pouvons à juste titre nous demander où se dirige celui qui entre ainsi au-dedans. Il se dirige vers lui-même, répondant au premier appel de l’Éternel qui l’invite à la toute première étape d’une démarche initiatique : s'engager sur le chemin de la découverte de soi.

En effet, « Va vers toi ! » (Cantique II, 10, version Chouraqui) sont les tout premiers mots que le Créateur nous adresse, nous invitant à nous découvrir pleinement. En ce sens, l’hiver initie un processus par lequel nous nous intériorisons, allant à la découverte de ce que nous sommes au plus profond de nous-mêmes en expérimentant le « connais-toi toi-même » qu'enseignait déjà Socrate à ceux qui aspiraient à une vie meilleure. Tout ceci n’est évidemment pas sans faire écho à l’expérience du silence, une ascèse associée au Nord et à toute dynamique d'intériorisation qui permet de se tourner vers l’Éternel et de se placer à l'écoute de ce que nous portons au plus profond de nous-mêmes, comme nous le rappelle admirablement Anselm Grun dans son ouvrage Apprendre à faire silence.

 

C’est pourquoi le Nord est aussi mis en rapport avec minuit, ce temps où nous sommes profondément endormis, cessant de nous focaliser sur le monde extérieur, afin de nous orienter vers les mondes intérieurs, les réalités divines. Le sommeil était d’ailleurs pour les anciens une occasion privilégiée d’entrer en communication avec Dieu et c’est dans cette perspective que s’élabora toute une science des rêves qui étaient perçus comme le moyen privilégié par lequel Dieu pouvait s’adresser à l’aspirant pour lui révéler ce qu’il était : « Dieu parle cependant tantôt d’une manière, tantôt de l’autre et l’on n’y prend point garde, il parle par des songes, par des visions nocturnes, quand les hommes sont livrés à un profond sommeil, quand ils sont endormis sur leur couche. Alors il leur donne des avertissements, il met le sceau à ses instructions afin de détourner l’homme du mal et le préserver de l’orgueil » (Job XXXIII, 14-17).

 

Si le Nord est le lieu où Dieu informe l’homme sur ce qu’il est, lui permettant de devenir lui-même, il est également un espace sacré où Il l’invite à répondre à son appel en le conviant à marcher vers l’accomplissement de sa vocation eschatologique. Il ne s’agit donc plus seulement de devenir ce qu’il est, mais d’accomplir également le projet ultime élaboré par l’Éternel, celui de participer à sa divinité, un devenir qui dépasse, bien évidemment, toute raison humaine. Ainsi, le Nord devient un espace de renoncement et de prise de distance par rapport à soi-même et à la lumière naturelle de la raison. C’est à cela que le Christ fit allusion lorsqu’Il s’adressa à saint Pierre en ces termes : « Passe derrière moi, Satan ! Tu me fais obstacle, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. » (Matthieu XVI, 23). En effet, le Prince de ce monde déploie de très nombreux efforts pour s'opposer à cette expérience de transcendance, cherchant à maintenir l’homme dans les limites étroites de sa finitude. Pour s’opposer à cette attitude, une seule disposition est efficace : la foi.

 

Or, l’homme de foi « adhère » au projet de Dieu en disant « oui » à quelque chose qui le dépasse. Il n’est donc pas étonnant qu’on retrouve, dès le départ du parcours de la nef Nord, le baptistère où est célébré solennellement le baptême pour les enfants et les adultes appelés au mystère de la foi. On y célèbre un véritable rite initiatique qui établit un rapport nouveau avec Dieu, le baptisé devenant son enfant adoptif, relié au fond de son cœur à celui que les chrétiens appellent « Notre Père ». L'inscription du baptistère de Latran expose d’ailleurs cela en des termes fort éloquents. Ceci étant précisé, la forme des fonts baptismaux de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste, comme de la plupart des églises, évoque « la matrice de la génération », pour reprendre l’expression de Denys l’Aréopagite, et la source de vie qui nous alimente spirituellement, celle qui jaillissait au milieu de l’Éden et du temple de Jérusalem, dans les visions d’Ézéchiel (Ézéchiel XIII, 1) et de Zacharie (Zacharie XIII, 1), et celle qui sortit du corps divin, au Golgotha (Jean XIX, 34). Elle nous donne la vie éternelle et nous transforme en une source spirituelle pour le monde.

 

Le baptistère possède donc huit côtés, conformément à la tradition qui fait du nombre 8 celui du Christ rédempteur, du Christ glorieux. Si l’on en croit saint Ambroise, c’est le nombre de la vie nouvelle, de la résurrection ultime, anticipée par celle que confère le baptême. Dans cette même perspective, saint Clément d'Alexandrie affirmait que le Christ était placé sous le signe du 8, celui qui fait renaître. C’était d’ailleurs le huitième jour après sa naissance que l’enfant mâle juif devait être circoncis : « Au huitième jour on circoncira le prépuce de l’enfant. » (Lévitique XII, 3).

 

 

Le baptistère de l’Église-Cathédrale Saint Jean l’Évangéliste

 

À travers le rite du baptême, nous retrouvons donc tout le processus par lequel nous sommes appelés à participer à l’intimité de Dieu, adhérant désormais à lui. Il est d’ailleurs intéressant de constater que dans la langue hébraïque, où chacune des lettres possède une valeur numérologique intrinsèque, le nombre 8 correspond à la lettre Heith, une lettre issue d’un ancien idéogramme représentant une clôture, un symbole qui incarne une délimitation marquant un espace d’intimité avec le divin, le lieu d’un rapprochement exceptionnel avec lui.

 

Notons enfin que la base du baptistère est en chêne (avec une inscription à la mémoire de William Moe, décédé en 1914), un arbre souvent associé à l’idée d’immortalité en raison de la dureté de son bois. Il est également un symbole privilégié de la rencontre avec l’Éternel. Ajoutons enfin que les fonts baptismaux sont en pierre et sont surmontés d’un couvercle en fer forgé.

 

Parcourons donc cette nef latérale Nord en étant soutenus par la foi qui nous incite à répondre à l’appel de Dieu. Elle supporte les sept premières stations du chemin de croix, associées par Dom Charles-Rafaël Payeur à la réception des dons de l’esprit.

X

« Dans le silence, je me force à être totalement présent à moi-même. Qui s’y emploie découvre d’abord que ce n’est pas agréable, car toutes sortes de pensées, de sentiments, d'émotions et d'impressions désagréables se manifestent alors. Ce sont des désirs et des aspirations refoulés, des colères contenues, des chances qu’on a laissé passer, des paroles omises ou maladroites qui se rappellent à nous. Fréquemment, les premiers instants du silence nous dévoilent un désordre intérieur, c’est la confusion de nos pensées et de nos désirs. Il est douloureux de supporter cette situation. Nous nous heurtons aux tensions internes, qui sont pour nous source d’angoisse. Certes, le silence ne suffit pas à éliminer de telles tensions. En nous taisant, nous faisons la découverte de ce qui se passe en nous. Le silence est comme un catalyseur de notre état ; nous n’avons pas d'illusion : nous voyons la réalité. » (Grün, Anselm, Apprendre à faire silence, Pensées pour vivre, Desclée de Brouwer, Paris, 2001, pp. 20-21).

X

Aussi, il n’est pas étonnant que le Nord mystique soit étroitement lié à cette expérience. C’est d’ailleurs la toute première chose que le futur chrétien demande à Dieu en s'engageant sur le chemin spirituel, comme nous le rappelle le rituel du baptême qui débute par l'interrogation suivante : « Que demandez-vous à l'Église de Dieu ? », une question à laquelle le candidat répond : « la foi ». Par cette vertu, il connaît un « moment de contact, d’adhésion, d’ouverture, d'abandon où le corps vibre, le coeur vibre, l’intelligence vibre ! » (Leloup, Jean-Yves, Aimer... Malgré tout, Rencontre avec Marie de Solemne, Dervy, Paris, 1999, p. 90. En effet, « il y a soudain comme un éclair... Nous ne comprenons plus rien, nous ne voyons plus rien, parce qu’il y a trop de clarté ! ... Et là effectivement, c’est le trou noir, c’est le trou blanc... C’est le Troublant ! Il s’agit alors de se laisser troubler. De se laisser troubler par le Troublant. Mais pour cela, il faut s'accepter troué ! [...] S'accepter troué, c’est s’accepter pour l'autre... C’est accepter la place de l’autre en moi. Nous n’arrêtons pas de chercher à boucher le trou, à combler notre rien, notre manque ! Alors que ce trou est simplement la place de l’autre en moi ! En fait, psychiquement, c’est une chance d’avoir des manques, d’être "troué" car c’est la place de Dieu. » (Ibid., pp. 90-91).

X

« Ici naît pour le ciel un peuple de haut lignage, l’esprit lui donne la vie dans les eaux fécondes. Pécheur, descends dans la fontaine sacrée pour laver ton péché : Tu descends chenu, tu remontes avec une nouvelle jeunesse. Rien ne sépare plus les re-nés, ils sont uns : Car un est le baptême, un l’Esprit, une la foi. Dans les eaux, la mère Église enfante, avec une virginale fécondité, ceux qu’elle met au monde par la vertu de l’Esprit. Si tu veux être pur, lave-toi dans ces eaux, quelle que soit la faute : péché d’origine ou faute personnelle. Ici est la source de la vie qui baigne l’univers tout entier : Elle a jailli de la blessure du Christ. Espérez le royaume, vous qui êtes nés en cette fontaine. Il ne suffit pas de naître pour accoster au pays de Dieu. Que personne ne s’effraie du nombre ou du poids de ses fautes : Et sera saint qui naîtra des eaux. » (Cité in Le baptême d’après les Pères de l’Église, Bernard Grasset Éditeur, Paris, 1962, p. 18).

X

Les Juifs " rattachent l'institution de ce rite à l'événement le plus important pour l'histoire du Salut qu'ait retenu la saga du grand patriarche : l'Alliance conclue par Dieu avec Abraham et sa descendance. La circoncision en devient le signe, que tout mâle doit porter dans sa chair en témoignage de son adhésion ; l'incirconcis sera "retranché d'entre les siens : il a rompu l'Alliance". " (Gérard, André-Marie, Dictionnaire de la Bible, Robert Laffont, Paris, 1989, p. 219).

X

C'est pourquoi Abraham, qui entra pour la première fois dans le pays où Dieu l'avait conduit, alla " jusqu'au Chêne de Moré " (Genèse XII, 6), un arbre oraculaire semblable aux antiques chênes de Dodone. Là, il rencontra Dieu qui fit de lui le père d'une multitude. C'est également sous le chêne de Mambré qu'il eut la révélation de la véritable nature de Dieu. En effet, " le Seigneur lui apparut au Chêne de Mambré, tandis qu'il était assis à l'entrée de la tente, au plus chaud du jour. Ayant levé les yeux, voilà qu'il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. " (Genèse XVIII, 1-2). J'ai souvent eu l'occasion de vous présenter ce célèbre récit qui nous décrit le moment où Abraham reçut ces trois visiteurs énigmatiques, s'adressant à eux comme s'ils n'étaient qu'un seul et même être.

 

Les juifs y voient trois anges, alors que les chrétiens y perçoivent une allusion indiscutable aux trois personnes de la Trinité. Si ces trois personnages étaient parfois considérés, avant le Concile de Nicée (325), comme ayant été le Christ escorté par deux anges, ils furent en effet associés définitivement aux trois Personnes divines à la suite de ce Concile et des propos de saint Grégoire de Naziance (pour de plus amples précisions, se reporter à l'ouvrage de Dom Charles-Rafael Payeur, Aux sources de l'Amour, Éditions Théosis, Sherbrooke, 2004). Saint Ambroise et saint Augustin avaient d'ailleurs été particulièrement explicites à ce sujet, ayant affirmé qu'Abraham vit trois (personnes) en un seul (Dieu).