Il importe d’insister sur la distinction fondamentale qui existe entre une « consécration épiscopale valide » et une « consécration épiscopale licite ». En effet, pour être consacré validement, un évêque doit recevoir le pouvoir d'Ordre et la tradition catholique établit une distinction claire entre ce pouvoir, d'institution divine, et le pouvoir de juridiction, d'institution humaine. Ainsi, le pouvoir d'Ordre vient directement du Christ, par la succession apostolique. Il est conféré à l'évêque par son sacre. Quant au pouvoir de juridiction, il lui est confié, avec l'approbation du chef de l’Église, le pape dans l'Église catholique romaine :

 

«  L'Église a toujours cru que la nature ou l'essence du sacrement de l'ordre consistait dans la consécration légitime des ministres sacrés, faite par l'évêque avec la matière et la forme convenables. Herbert Thorndik, écrivain anglais, propose un autre système dans ses Origines ecclésiastiques, où il prétend qu'outre le rit extérieur il faut encore l'approbation de l'Église pour que l'ordination soit valable. Mais ce système, qui a été approuvé par le P. Courayer, n'est pas moins contraire à la nature de l'ordination et à la pratique de l'Église, qu'il est favorable aux erreurs des protestants touchant l'Ordre. Il est contraire à la nature de l'ordination, puisqu'il en fait dépendre la validité de la puissance de juridiction, au lieu qu'elle ne dépende que de la seule puissance de l'ordre ou du caractère. Il est contraire à la pratique de l'Église, qui n'a jamais recommencé les ordinations faites par les hérétiques ou les schismatiques, tels que les ariens, les novatiens, les donatistes, quoiqu'ils n'eussent aucune puissance de juridiction. Il est favorable aux erreurs des protestants touchant l'ordre qui, selon eux, n'est qu'une simple députation des ministres faite par l'Église, c'est-à-dire par l'assemblée du peuple, pour exercer les fonctions saintes. » (« De la nature de l'0rdre » in ENCYCLOPÉDIE CATHOLIQUE, Paris, 1847, tome quinzième, p. 116.).

 

Ainsi, en vertu du pouvoir d'Ordre qu'il détient, un évêque peut transmettre validement le sacerdoce, et cela indépendamment de l'approbation juridique de l'Église catholique romaine ou de toute autre juridiction. C'est ce que nous trouvons également expliqué dans le Dictionnaire Apologétique de la Foi Catholique :

 

« Aujourd'hui tout catholique sait que, pour pouvoir faire réellement des prêtres chrétiens, en observant le rite convenable, il suffit de posséder réellement la plénitude du sacerdoce, autrement dit, d'être évêque. L'exercice du pouvoir d'ordre, dans la collation du sacerdoce comme dans tout autre acte sacramentel, pourra être illicite, si l'évêque va contre une prohibition de l'Église ; il ne sera pas pour cela invalide ; et ainsi le sacerdoce chrétien pourra exister et se perpétuer, le Christ l'ayant ainsi voulu, hors des prises de l'Église, même dans le schisme, même dans l'hérésie. C'est là une vérité, non précisément de foi définie, mais cependant définissable; les théologiens disent : proxima fidei. » (Dictionnaire Apologétique de la Foi Catholique, Paris, 1926, Tome III -Loi ecclésiastique - Pentateuque et Hexateuque-, p. 1159.).

 

Citons encore J. M. Spalding qui affirme également, dans son Histoire de la Réforme Protestante : « La consécration ayant dûment été accomplie par des évêques qui avaient sans doute eux-mêmes le caractère épiscopal, fut, bien que non canonique et illégale, certainement valide. Ainsi, les évêques hérétiques et schismatiques d'aujourd'hui, à moins que les rites de consécration n'aient été, depuis, matériellement altérés, sont revêtus du caractère épiscopal… ». (SPALDING, J. M., Histoire de la Réforme Protestante, New-York, 1875, tome II, p. 424).

 

Si un évêque peut être privé de son pouvoir de juridiction, comme à la suite d'une suspense, d'un interdit ou d'une excommunication, il ne peut donc être privé de son pouvoir d'Ordre. Cette question fut d’ailleurs longuement débattue par les théologiens, au point où elle a été l'une des grandes discussions qui anima l'Église des premiers siècles. Un évêque, déclaré hérétique ou schismatique, pouvait-il ordonner validement et, ainsi, perpétuer le sacerdoce hors de la juridiction de l'Église ? Sur cette question, l'Église catholique romaine adopta finalement une position ferme et catégorique : le pouvoir d'Ordre est indélébile et parfaitement indépendant du pouvoir de juridiction.

 

Mentionnons notamment à cet égard la position de saint Augustin, évêque d'Hippone et Père incontesté de l'Église. À cause du caractère indélébile qui lui est conféré à sa consécration, un évêque validement consacré, même excommunié par la suite, ou simplement séparé de l'Église, conserve tout de même le pouvoir de transmettre validement les Ordres, et ceux à qui il les transmet, peuvent à leur tour les transmettre validement à d'autres, cela malgré leur schisme. La thèse de saint Augustin peut donc se résumer ainsi : « Les pouvoirs d'Ordre une fois donnés ne peuvent en aucun cas être retirés. » (Augustin, Contra Epistolam Parmeniani 11, 28). Par la suite, elle fut précisée par saint Thomas d'Aquin, docteur de l'Église, dans sa célèbre Somme Théologique. Elle fut également reprise au saint Concile de Trente qui a réaffirmé solennellement, en condamnant les hérésies de la réforme protestante, le caractère indélébile des pouvoirs spirituels transmis par le sacrement de l'Ordre. Les canons de ce saint Concile ont ainsi confirmé la validité et la perpétuité du sacerdoce à travers l'histoire de l'Église.

 

L'évêque, par sa consécration épiscopale, est donc un vicaire du Christ et non un vicaire ou un délégué du Souverain Pontife. Le Concile Vatican II nous rappelle d’ailleurs que « par l'imposition des mains et par les paroles de la consécration, la grâce de l'Esprit Saint est conférée, et le caractère sacré imprimé de telle sorte que les évêques tiennent, de façon éminente et visible, la place du Christ lui-même, Maître, Pasteur et Pontife, et agissent à sa place. » (« La constitution hiérarchique de l'Église et, en particulier, l'épiscopat », in CONSTITUTION DOGMATIQUE « LUMEN GENTIUM », chapitre III). Dans sa lettre encyclique Satis cognitum, du 28 juin 1896, Sa Sainteté le pape Léon XIII précisait également que « les évêques possèdent une autorité qui leur est propre et qu'ils portent en toute vérité le nom de prélats des peuples qu'ils gouvernent. ».

 

Pour résumer, les deux pouvoirs, sacerdotal et juridique, sont donc distincts, bien qu’ils soient le plus souvent conjointement détenus par l'évêque. Il est toutefois possible que l'un existe sans l'autre, sans que l’évêque ne soit pour autant schismatique. Il en est ainsi d'un évêque titulaire (n'ayant pas de diocèse), d'un évêque démissionnaire ou d'un évêque déposé. Ceux-ci, bien que revêtus du pouvoir d'Ordre, ne possèdent pas celui de juridiction. C’est aussi, bien évidemment, le cas d’un évêque consacré en marge de l’Église catholique romaine, sans l’autorisation du Saint Père. Ceci étant, une Église peut aussi avoir un chef dépourvu du caractère épiscopal : un vicaire capitulaire ou un évêque nommé, ayant pris possession de son Siège avant d'avoir reçu la consécration, par exemple. Celui-ci détient alors le pouvoir de juridiction, sans disposer du pouvoir d'Ordre.

 

Si nous résumons ce qui précède, nous constatons que la succession apostolique confère aux évêques les pouvoirs et les privilèges accordés par le Christ à ses apôtres, et par les douze à leurs successeurs. De là, l'opinion que « là où est l'évêque, là est l'Église. ». Ainsi, le Concile Vatican II nous rappelle « que les évêques, de par l'institution divine, ont occupé, dans la succession, la place des apôtres en tant que pasteurs de l'Église ; et que quiconque les écoute, écoute le Christ, quiconque les méprise, méprise le Christ et Celui qui a envoyé le Christ. » (« La constitution hiérarchique de l'Église et, en particulier, l'épiscopat », in CONSTITUTION DOGMATIQUE « LUMEN GENTIUM », chapitre III).

 

Ajoutons qu’au cours de sa longue histoire, l'Église catholique romaine a développé toute une hiérarchie juridique afin de faciliter le gouvernement d'une immense communauté chrétienne internationale. C'est ainsi qu’apparurent les fonctions d'archevêque, de primat, de nonce apostolique, de cardinal ou de pape. Cependant, il faut bien insister sur le fait que les pouvoirs rattachés à ces titres sont uniquement d'ordre juridique, tous les évêques étant égaux du point de vue sacerdotal. Ainsi, le pape, chef suprême de l'Église catholique romaine, détient, comme Évêque de Rome, et au même titre que ses confrères en l'épiscopat, la plénitude du pouvoir d'Ordre (la plénitude du sacerdoce). Il détient également, en tant que Souverain Pontife régulièrement élu, la plénitude du pouvoir de juridiction.